« Himalaya Report. La conquête des sommets à l’ère des médias » ou la folie des hommes
Une exposition à voir au Musée alpin (Berne) jusqu’au 26 juillet 2015.
Rarement une exposition ne pouvait mieux éclairer l’actualité. Le 18 avril dernier mourraient seize sherpas dans une avalanche lors d’une ascension de l’Everest. A la suite de cet accident tragique, les guides népalais en deuil décident de quitter le camp de base de l’Everest et de mettre fin à leur saison en hommage à leurs collègues. Cette décision suscite l’ire des Occidentaux voulant atteindre le sommet coûte que coûte. Comment comprendre la colère de ces touristes, incapables d’empathie ? En allant voir la belle exposition qui a ouvert au Musée alpin une semaine seulement après la tragédie et qui s’intéresse à la médiatisation de l’alpinisme de l’extrême.
« Himalaya Report » relate cette grande épopée médiatique qui débute au tournant du XXe siècle avec le Neuchâtelois Jules Jacot Guillarmod, qui tente en vain de gravir le K2 en 1902. Guillarmod transforme l’échec en succès médiatique en publiant ses aventures sous forme de chroniques dans la presse romande et en donnant de Berne à Paris des conférences illustrées de nombreuses photographies prises lors de son expédition et que le visiteur peut admirer tout en entendant le récit du Neuchâtelois.
Cette première section, ou «step», est suivie de 9 autres échelons à gravir (judicieusement mis en scène), déroulant le fil chronologique jusqu’à nos jours. A la médiatisation par la photographie succède le cinéma, avec le film « Le démon de l’Himalaya » de Günter Dyrenfurth tourné en 1934 in situ à 7000 mètres d’altitude. Alors que Guillarmod évoluait dans le contexte des expéditions coloniales, 50 ans plus tard, l’ascension de l’Everest par des Suisses est fêtée comme une prouesse nationale. Alpinisme et patriotisme deviennent intimement liés : les alpinistes conquièrent un à un les hauts sommets comme les astronautes conquerront l’espace, avec un drapeau à la main. Dans les années 1970, Reinhold Messner souhaite se distancier de cette médiatisation nationaliste et entreprend la conquête des 8000 mètres en solo, pour son propre développement personnel et plaisir. En découleront d’innombrables livres et conférences qui lui permettront d’assurer son revenu, et qui contribueront aussi à la démocratisation de ce sport de l’extrême.
La dernière partie de l’exposition montre comment ce phénomène (ascension en solo et son exploitation médiatique à grande échelle) atteint des proportions effrayantes aujourd’hui à travers les figures de Gerlinde Kaltenbrunner, David Lama ou Stephan Siegrist. Il s’agit à présent de conquérir les sommets en courant, sans aucune assistance, des hélicoptères filmant en direct la performance… Un business lucratif pour les marques qui sponsorisent désormais ces athlètes.
Cette exposition a le grand mérite de présenter – de manière neutre, certes – un sujet passionnant qui ne manque pas de forcer le visiteur à s’interroger sur la fascination de l’homme pour la montagne et sur sa volonté parfois aveugle de se mesurer à elle. La scénographie originale et ludique met très bien en valeur les nombreux documents et objets présentés. Un petit bémol à relever toutefois : on regrette que les commissaires n’aient pas pensé à présenter brièvement en début de parcours la problématique de l’exposition, ni donné de contexte historique (la conquête des Alpes dès le XVIIIe n’est pas évoquée). Le visiteur pourrait en effet mieux apprécier la pertinence des choix effectués sans avoir recours au dossier de presse en fin de visite.
Béatrice Lovis
Infos sur : www.alpinesmuseum.ch (compter deux bonnes heures pour la visite)
Diverses activités sont organisées en lien avec l’exposition.