Sommaire

Expositions – Voir, Revoir
Daniela Vaj, Les voyages stéréoscopiques, entre tours virtuels et outils pédagogiques
Claude Reichler, Le voyage à Muri

Dossier Valais – Recevoir
Julie Lapointe Guigoz, Avant-Propos : Une histoire de l’accueil touristique en Valais
Simon Roth, L’hôtellerie Belle Époque, traces de papier
Noémie Carraux, La Vallée du Rhône : une revue aux origines de la promotion touristique cantonale
Roland Flückiger-Seiler, Le Haut-Valais et ses hôtels, un Eldorado du tourisme de haute montagne
Sylvie Doriot Galofaro, Un patrimoine perdu : les sanatoriums et cliniques de Montana
Julie Lapointe Guigoz, Fionnay, premier fleuron touristique d’un « vallon béni »
Jean-Charles Fellay, Tête Noire en Trient : splendeur et misère d’un hôtel
Autrices et auteurs du dossier

Chroniques

Histoires de guides
Ariane Devanthéry, Les guides Baedeker, éducateurs des touristes
Ariane Devanthéry, Edward Whymper, observateur du tourisme en Valais dans les années 1860

Publications, comptes rendus, recherches
Patrick Vincent : Marc Forestier, La vie épistolaire d’Henriette d’Angeville, vol. 1 : La Reine du Mont-Blanc ; vol. 2 : Lettres à la famille David, Lajoux, éditions Histoires du Haut, 2021.

Vie de l’association
Visites guidées de l’été 2021
Procès-verbal de l’Assemblée générale 2020-2021
Liste des membres

Bulletin 2022 en format PDF


Avant-propos

Une histoire de l’accueil touristique en Valais

Dans l’édition de 1859-1861 du Dictionnaire géographique et statistique de la Suisse, l’article sur le Valais nous apprend, sans grande surprise, que le canton, par sa nature et son étendue, est caractérisé par une faible densité de la population et compte environ 80’000 habitants. Les neuf dixièmes du territoire, considérés comme « l’Himalaya de l’Occident », sont couverts de glaces éternelles, de rochers nus, de gorges sauvages, d’effrayants précipices ou de torrents dévastateurs (1) . Comparé à une « île escarpée soulevée au sein du monde civilisé », le Valais est identifié, toujours selon le même ouvrage, comme une région ayant un mouvement commercial faible, une agriculture quasi autarcique et une industrie qualifiée d’insignifiante. Ainsi présentée, la contrée valaisanne apparaît vraisemblablement hostile et inhospitalière. Son attractivité touristique est alors difficile à imaginer. Et pourtant, les étrangers y font halte. Des voyageurs sillonnent déjà le canton et des scientifiques l’explorent, de Saint-Gingolph au glacier du Rhône. Les alpinistes l’arpentent et les auteurs romantiques le dépeignent sous toutes ses coutures. De lieu de passage obligé entre le nord et le sud du continent, le Valais devient un massif alpin à conquérir. Les vallées de Saas, Zermatt et Trient, proches des grands sommets du Cervin et du Mont-Blanc, s’offrent comme terres d’accueil aux premiers touristes.

Dès les années 1860, stimulé par la construction de la ligne de chemin de fer dans la plaine du Rhône, dont le premier tronçon entre le Bouveret et Martigny est inauguré en 1859, le trafic voyageurs s’intensifie et le nombre de touristes augmente. Les héberger devient petit à petit une activité commerciale et favorise l’apparition de stations dites de première génération ou « stations-villages ». Champéry, Finhaut, Saxon, Salvan, Champex, Fionnay, pour ne citer qu’elles, se métamorphosent et font place à la construction de pensions familiales et à l’édification d’établissements hôteliers. Initiées par des acteurs locaux, souvent impliqués dans la sphère politique communale et la vie économique du lieu, ces entreprises immobilières nécessitent des investissements colossaux pour l’époque. Si l’espoir de réaliser un gain financier ou une nouvelle source de profit encourage l’offre d’hébergement à se développer, cette dernière s’appuie inévitablement sur une pratique de prix élevés. La rudesse de l’hiver valaisan reste encore à dompter et dans la grande majorité des cas, les hôtels ouvrent leurs portes durant une courte saison comprise entre juin et octobre. Jusqu’à la période de l’entre-deux-guerres, leur fréquentation se limite aux classes élitaires de la bonne société et les hôtels sont des lieux de rendez-vous mondains en été.

À partir des années 1880, « l’invasion des étrangers » engage les promoteurs de l’hôtellerie valaisanne dans une course folle à l’amélioration de leurs infrastructures et de leurs facilités de logement. Les pensions se transforment en hôtels de première catégorie ou « maisons de premier ordre » et leurs façades s’imposent dans le territoire : l’Hôtel de la Tête Noire à Trient, le Grand Hôtel de la Pierre à Voir au-dessus de Martigny, l’Hôtel du Grand Combin à Fionnay, l’Hôtel Bellevue à Saas Fee. Les clichés de ces anciens établissements, rassemblés pour l’occasion dans ce dossier, parlent d’eux-mêmes.

Lorsqu’il rédige le premier numéro de La Vallée du Rhône : journal illustré des stations du Valais, le 15 juin 1903, Jules Monod (1860-1928) insiste sur le rôle de cette nouvelle revue dans la promotion et la mise en valeur du canton du Valais : « Notre but est donc de créer un journal qui, sous une forme littéraire et avec l’aide des procédés les plus modernes de l’illustration, fasse de plus en plus connaître et apprécier les beautés superbes, les avantages climatériques, les ressources naturelles ou acquises du canton du Valais, cette Suisse dans la Suisse. » Il écrit également que les étrangers qui seront attirés en Valais ne pourront qu’en être admiratifs et reconnaissants. En tenant ces propos, Monod véhicule une image forte et emblématique du canton, il transmet un message clair : le Valais est exceptionnel, venez le visiter, vous ne serez pas déçus !

Qu’en est-il en réalité ? Les voyageurs accourent-ils dans le Vieux Pays pour y admirer ses paysages encore vierges, ses vallées reculées et l’« authenticité » de sa population ? Selon les statistiques récoltées à l’époque, l’intensité du mouvement touristique se répercute également en Valais ; le canton occupe le quatrième rang immédiatement après Berne, les Grisons et Vaud tant pour le nombre d’hôtels que pour celui des lits (2). Au début du XXe siècle, mise à part l’agriculture, aucune industrie ni profession n’emploie et ne fait vivre autant que l’hôtellerie, d’où la pertinence d’encourager les recherches et les publications dans ce champ de l’histoire.

Les six contributions rassemblées dans ce bulletin font la lumière sur plusieurs hauts lieux touristiques du Valais qui, pour certains, sont passés aujourd’hui dans l’oubli. Elles lèvent le voile sur des trajectoires de développement, synonymes d’un premier âge d’or de l’hôtellerie à la Belle Époque. De Trient à Fionnay, des hauteurs de Saxon à l’Oberwallis en passant par le plateau de Montana, hôtels et sanatoriums participent à la mise en place de pratiques touristiques et à la construction d’itinéraires de voyage. Les articles illustrent également l’importance de l’arrivée d’un tourisme d’hiver pour le Valais, un créneau qui n’aura de cesse de s’affirmer et de s’imposer sur l’ensemble du territoire.

S’il reste encore (et heureusement !) un patrimoine documentaire à explorer pour saisir les contours de l’histoire de l’industrie hôtelière valaisanne, il serait intéressant et judicieux d’interroger l’une des figures laissées dans l’ombre de la réussite de ce secteur économique, celle de la tenancière ou de la gérante d’hôtel. Reléguées à leur titre d’épouse, de veuve ou de fille d’hôtelier, les femmes mériteraient une place plus importante dans l’histoire car ce sont bien souvent elles qui tiennent les rênes de l’entreprise familiale et qui assument, en toute discrétion, le service et l’hospitalité aux étrangers.

Julie Lapointe-Guigoz

(1) Markus Lutz, Dictionnaire géographique-statistique de la Suisse, tr. et revu par J.L.B. Leresche. Revu pour ce qui concerne la Suisse romande par J.-L. Moratel, Volumes 1 à 2, 1859.
(2) Jules Emonet, « L’Industrie hôtelière dans le canton du Valais », Journal de la statistique Suisse, Berne, 1907.