Sommaire

Dossier : « Jeunesse et voyages (1700-1830) »
Meike Knittel, Devenir botaniste au XVIIIe siècle : les premiers voyages de Gessner et des jeunes Zurichois dans les Alpes
Fiona Fleischner, Une « récréation instructive ». Les journaux de voyages rédigés à l’âge de dix ans par Éric Grand (1796) et Jean-Louis Naville (1822)
Philip Rieder, En deça et au-delà des murs : les excursions de l’adolescent genevois Louis Odier (1748-1817)
Ivana Lorhey, « L’immensité prodigieuse de la nature ». Le journal du voyage en Suisse du jeune Schopenhauer (1803-1804)
Sylvie Moret Petrini, Le journal de voyage dans les ouvrages pédagogiques au XVIIIe siècle
Sylvie Moret Petrini, Journal d’un voyage fait en Suisse par la pension de Mr Rahn d’Araau en 1788, par Jean Benjamin Jaïn.
Sylvie Moret Petrini, L’iconographie dans les journaux de voyage d’Henri Georges de Mestral (1789-1790)

Comptes rendus
Mathieu Narindal: Andreas Bürgi, Eine touristische Bilderfabrik : Kommerz, Vergnügen und Belehrung am Luzerner Löwenplatz, 1850-1914, [avec la collaboration de Philipp Flury et Claudia Hermann], Zürich, Chronos Verlag, 2016.
Patrick Vincent: Françoise Krattinger (éd.), Destination Patrimoine : Sentiers historiques, [avec la collaboration de Nicolas Schwab, Florian Baumgartner, Timon Dönz et la traduction de Léo Biétry], Zürich, Patrimoine suisse, 2018.
Patrick Vincent: « Albert Smith. Le spectacle du Mont-Blanc », Exposition au Musée Suisse du Jeu à La Tour-de-Peilz du 23 novembre 2018 au 8 septembre 2019, nombreuses illustrations.
Patrick Vincent: Aldo Audisio et Veronica Lisino, Albert Smith : Lo spettacolo del Monte Bianco et altre avventurre in vendita [Le spectacle du Mont-Blanc et autres aventures en vente], Torino, Museo nazionale della montagna, 2018.

Vie de l’association
Sortie annuelle 2019 : sur les traces de Voltaire (Délices, Ferney) / Lausanne à l’heure d’été 2019 / Liste des membres / Procès-verbal de l’Assemblée générale 2018

Bulletin 2019 en format PDF


Avant-propos

Durant l’époque moderne, les jeunes sont de plus en plus nombreux à tenir un journal dans lequel ils consignent leurs voyages, accompagnés de leurs parents, amis ou enseignants. Ce numéro du Bulletin leur est dédié.

Vers la fin du XVIIIe siècle, faisant écho à l’attente des familles bourgeoises et nobles, qui elles-mêmes les proposent (ou les imposent…) à leurs enfants, les pensionnats mettent à leur programme des voyages et courses destinés à offrir à leurs élèves l’occasion d’apprendre. C’est-à-dire d’acquérir des connaissances « réelles », en opposition au savoir purement livresque, de plus en plus décrié à l’époque. Les voyages effectués dans le cadre de l’institut Naville que relate le fils de son fondateur, étudiés par Fiona Fleischner, ou le voyage de Jean Benjamin Jaïn dont nous éditons le journal, participent de cet usage, où la plume se fait le support des connaissances acquises. Voyage et formation sont étroitement liés, comme le montre également Meike Knittel à l’exemple du jeune Johannes Gessner, dont les premiers voyages dans les Alpes, au début des années 1720, constituent une véritable porte d’entrée dans le microcosme des botanistes. Dans le cadre familial, l’objectif didactique paraît tout aussi essentiel ainsi qu’en témoignent les journaux tenus en parallèle par Johanna Schoppenhauer et son fils Arthur au début du XIXe siècle sur lesquels Ivana Lohrey montre l’impact ineffaçable des impressions suscitées par le paysage helvétique. Moins féru de paysage, Louis Odier herborise dans la campagne genevoise en compagnie de ses camarades joignant à la récolte des plantes la recherche d’une certaine liberté que le cadre urbain n’offre guère.

Notre dossier s’intéresse autant aux pratiques viatiques qu’à celles de l’écriture, étroitement liées à une époque marquée par un fort intérêt pédagogique. Ces pratiques d’écriture, recommandées par la littérature d’éducation de l’époque – Rousseau, Mme de Genlis, Basedow, etc. – commençaient parfois avant même que l’enfant sache manier la plume. Ainsi en est-il de Gonzalve Grand d’Hauteville, fils de la famille d’Hauteville propriétaire du château du même nom. En 1819, alors âgé de 7 ans, il dicte son journal à sa mère, chaque soir, à l’occasion d’un voyage en Italie. Il s’agit pour le garçon d’apprendre les codes d’un genre dont l’usage apparaît comme une obligation. Les comptes rendus des jeunes gens, formatés par une culture commune et l’influence des récits de voyage, apparaissent étonnamment proches. Il s’agit de prendre note de l’itinéraire, de décrire le chemin et le paysage en évaluant leur beauté et leur intérêt. Répondant aux préceptes de la littérature pédagogique, d’autres vont plus loin en commentant l’histoire des lieux visités, les formes de gouvernement, l’état du commerce et de l’agriculture, joignant à l’éducation du regard la formation du jugement. Au-delà des connaissances acquises, des paysages observés et des visites effectuées dont rend compte l’exercice formaté du journal, c’est entre les lignes qu’il faut tenter de lire l’expérience viatique des jeunes scripteurs et… des scriptrices. Bien qu’absentes de ce numéro, les jeunes filles, à cette époque, n’en voyagent pas moins et pour des raisons similaires, alliant plaisir et découvertes. Mais si les archives helvétiques conservent de beaux exemples de journaux qu’elles ont tenus à l’occasion de déplacements plus lointains, principalement en France, leurs éventuels récits de voyage en Suisse – à l’exception du journal d’Aimée Grand d’Hauteville dont il a été question dans un précédent numéro du Bulletin – restent encore à découvrir.

Sylvie Moret Petrini