Sommaire

Un projet de recherche et ses réalisations
Claude Reichler, « Viaticalpes et Viatimages », p. 7-12.
Claude Reichler, « A quoi sert Viatimages ? », p. 13-16.

Clin d’oeil
Adrien Guignard, « Oscar Rau, le premier Suisse à Pékin : Clartés », p. 17-23.

Comptes-rendus
Claude Reichler, « H.  Zumstein, Les Figures du glacier. Histoire culturelle des neiges éternelles au XVIIIe siècle, 2009 », p. 24-25.
Claude Reichler, « A. Bürgi, Relief der Urschweiz. Entstehung und Bedeutung des Landschafsmodells von Franz Ludwig Pfyffer, 2007 », p. 26-29.
Ariane Devanthéry, « Exposition à la BNS : Charmes suisses. La Suisse au travers des guides de voyage », p. 30-32.

Vie de l’association
Exposition itinérante ACVS / Promenades culturelles 2009 / Sortie annuelle 2009 / Lausanne Estivale 2010 / Liste des membres / PV de l’AG 2007.

Télécharger le pdf


Editorial : La Suisse en images

L’image de la Suisse est de nouveau en vogue… du moins en Suisse. Crise oblige, les médias se pourfendent à analyser ce que le reste du monde pense de nous. Les rares reportages et articles de presse étrangers sur la Suisse sont auscultés. Philosophes, comédiens, ministres et autres « people » sont consultés, tels des oracles. Il existe même un site dédié à notre image, www.image-suisse.ch. D’année en année Présence Suisse, unité du Département Fédéral des Affaires Etrangères, mandate des sondages à l’étranger, jaugeant la santé de la marque « Suisse » d’après des critères tels que la « confiance dans la place financière », « Genève ville internationale » ou encore « arrestation de Roman Polanski ». Le lecteur sera heureux de savoir que l’enquête la plus récente, menée aux USA, a placé la Suisse en deuxième place, juste derrière la Grande-Bretagne…

L’ « image de la Suisse » avait bien évidemment une connotation très différente il y a deux siècles. En 1825, lorsque la culture du regard battait son plein à l’aide de panoramas, dioramas, cosmoramas et autres spectacles visuels, un londonien n’avait pas besoin de faire le voyage jusqu’en Suisse pour admirer nos paysages. Il pouvait même choisir entre une exposition à Soho Square intitulée « Models of Switzerland », ou alors le « Switzerland in Miniature » du genevois Gaudin, un autre relief mesurant 48 mètres carrés exposé à la Egyptian Hall de Piccadily. La maquette à Soho, moins connue mais plus fidèle à la réalité selon les périodiques de l’époque, représentait les images de la Suisse les plus en vogue de l’époque : la vallée de Chamonix avec la mer de glace et la caverne de l’Arveiron ; le passage du Simplon, avec « un aperçu des rochers perforés sur ordre de Bonaparte, pour faciliter le passage de son armée en Italie » (sic) ; le Val de Bagnes, « avant et après l’inondation atroce » ; Genève ; et toute la Suisse, représentant le Mont-Blanc, le Pays de Vaud, le col du Saint-Bernard, et les lacs importants.

Du sublime du Simplon au ridicule de l’affaire Polanski l’image que se font les étrangers de la Suisse est tombée bien bas ! Cela ne veut pas dire que cette image ait toujours été positive, au contraire. John Ruskin, lors d’un de ses innombrables séjours en Suisse, s’arrêta à Neuchâtel en mai 1866, d’où il écrivit à sa mère : « Tout est divin, mis à part la population qui fait preuve d’année en année de plus en plus de décadence, et la jeunesse des villes, cigare à la bouche et le visage hagard, la bouche renfrognée et l’oeil malfaisant, dont l’avenir est difficile, même effroyable à imaginer ». Comme les entretiens, les enquêtes et autres représentations tronquées d’aujourd’hui, le point de vue de Ruskin sur la Suisse est subjectif, voir biaisé. Lecteur dès son plus jeune âge des récits héroïques de la Suisse ancienne et des romans pastoraux de Jeremias Gotthelf, Ruskin idéalise le mythe suisse qu’il essaye tant bien que mal à retrouver. Lors de son séjour à Neuchâtel, il perd en plus une amie qui faisait partie de son groupe, Lady Trevelyan, et qu’il doit enterrer au cimetière du Mail. Enfin, il y a la bise. Dans une autre lettre il appelle ce vent une « invention du diable ».

De cette Suisse diabolique Ruskin rapportera deux magnifiques panoramas des Alpes. Dans le premier, intitulé « Dawn at Neuchâtel », la chaîne des Alpes, d’un blanc très pur, est encadrée par un ciel et un lac peints dans un lavis orange et or. Le tout exprime une sérénité atmosphérique et fragile, et rappelle le bonheur intense qu’a éprouvé le jeune Ruskin lorsqu’il découvre les Alpes depuis Schaffhouse en 1833 . Le deuxième tableau, « Afternoon in Spring, with South Wind, at Neuchâtel », est plus sombre.Tout en représentant fidèlement le détail des sommets en dent de scie et les sillons des vagues creusés par le vent, il laisse paraître sa tristesse, sa déception, mais aussi sa folie naissante. Deux images subjectives donc, coloriées par son imagination et par ses états d’âme, mais qui, à la différence des images d’aujourd’hui, transfigurent les réalités suisses à la place de les édulcorer, de telle façon que le regard passionné de Ruskin continue à influencer notre regard, à nous réapprendre comment voir notre pays. Que de regrets que Ruskin n’ait jamais rédigé son chapitre sur ce malheureux voyage de 1866, qui devait s’appeler « The Rainbows of Giessbach » !

Ce treizième bulletin de l’ACVS, vous l’aurez deviné, est largement consacré à la culture du regard qui a construit la Suisse à partir d’images mais aussi de rêves, de passions, de fantasmes ou encore de préjugés et de stéréotypes. Sous la rubrique « Un projet de recherche et ses réalisations », Claude Reichler présente Viaticalpes, la base de données qu’il a élaboré avec Daniela Vaj et Nicolas Bugnon, et qui met actuellement en ligne plus de mille cinq cents images des Alpes et de la Suisse. C’est une ressource exceptionnelle dont Ruskin aurait sans aucun doute fait ample usage ! Vient ensuite le « clin d’oeil » d’Adrien Guignard qui nous apporte un bol d’air frais en nous menant dans les traces d’un missionnaire suisse à Pékin qui se retrouve dans des situations incongrues… Deux comptes rendus nous ramènent sur les hauteurs helvétiques, le premier une superbe histoire culturelle des glaciers, le second l’histoire définitive du relief de la Suisse centrale du Général Pfyffer. Ariane Dévanthery commente une exposition sur les guides de voyages à la Bibliothèque nationale qui a peut être été trop influencée par le psychodrame actuel sur notre image, mais aussi et surtout par la vogue du « présentisme ». Ce n’est pas le cas de l’exposition itinérante de l’ACVS « Ecrivains-voyageurs et le mythe hélvétique », qui, selon son responsable, Guillaume Poisson, rencontre énormément de succès et suscite un véritable intérêt pour l’histoire du voyage en Suisse. C’est aussi l’objectif de nos promenades culturelles et sorties annuelles, qui sont commentées en fin de bulletin.

L’image de la Suisse a fait en 2010 la une des journaux, mais elle demeure au centre des préoccupations de l’ACVS depuis 1998. A travers l’étude des images projetées par les voyageurs en Suisse et dans les Alpes, notre association cherche à promouvoir une véritable connaissance de ce pays, et non pas simplement une série de clichés…

Patrick Vincent